• Interview de Cécile Terouanne, l'éditrice Hachette qui a lancé Twilight en France

    Interview de Cécile Terouanne, l'éditrice Hachette qui a lancé Twilight en France.

    C'est grâce à elle que les Français ont découvert Twilight

    Cécile Terouanne est directrice éditoriale chez Hachette pour Black Moon, collection de "littérature paranormale avec un axe féminin et romantique". Elle est quasiment la première Française à avoir lu le premier roman de la saga Twilight, bien avant que l’on ne parle de son adaptation au cinéma et de la folie qu'il allait provoquer. Elle raconte au Journal de la Télé de Nostalgie comment elle a découvert ce livre.

    Cécile Terouanne : L’aventure Twilight a commencé en 2004. La personne avec qui je travaille sur la littérature anglaise et américaine, Natacha Farente, a repéré le texte juste avant l’été 2004. En fait, elle a commencé à en entendre parler, puis elle a récupéré le premier état du manuscrit après la Foire du Livre de Francfort en octobre. On l’a lu fin 2004, et c’est là qu’on est toutes les deux tombées amoureuses d’Edward. A l’époque, évidemment, personne ne connaissait Stephanie Meyer. Le livre n'était même pas encore publié aux États-Unis ! Cétait le premier roman d’un auteur totalement inconnu.

    - Et vous vous êtes dit : "ça va marcher" ?

    C.T. : Non, on s’est dit c'est un coup de cœur et finalement c’est un pari d’éditeurs. Parce qu’il faut quand même mesurer qu’en 2004-2005, la littérature pour jeunes adultes était beaucoup plus dans une atmosphère de romans de société, romans d’apprentissage ou alors des romans-miroirs un peu sinistres : "Je me cherche, mon père boit, ma mère est dépressive, mon petit copain se drogue." On était pas du tout dans l’ambiance du roman sentimental et encore moins du roman fantastique, vampirique !

    - Harry Potter qui cartonnait déjà.

    C.T. : Oui, mais Harry Potter, c’était vraiment trans-générationnel. Ça démarrait à 8 ans et ça allait jusqu'à 80.  Tandis que d’emblée avec Twilight, on s’est rendu compte qu’on allait s’adresser à un lectorat de 13 ans et plus. On a bien vu tout de suite qu’on allait pouvoir draguer des lecteurs - et surtout des lectrices ! - de 18-20 ans. On anticipait absolument pas sur le fait qu’on irait jusqu'à 35-40. C'est pourquoi nous pouvons dire que notre collection Black Moon est désormais l’éditeur best-sellers des 15-35 ans.

    - Le documentaire qu’ARTE consacre ce jeudi 25/2 à 22h40 à La Folie Twilight, dans lequel vous êtes interrogée, évoque le chiffre de 85 millions d’exemplaires vendus dans 43 pays pour la tétralogie Twilight. A-t-on déjà dépassé ce chiffre depuis la fin 2009 ?

    C.T. : Le chiffre a en effet été dépassé depuis la fin 2009. Les États-Unis et l’éditeur américain Little Brown (propriétaire de la saga Twilight) est en train de faire les comptes : Il est assez vraisemblable qu’on en soit a 100 millions d’exemplaires et le livre est maintenant disponible dans 47 pays.

    - Question « tarte à la crème » : ce qui est au cœur de cette saga, c’est l’absence de sexe, l’abstinence. En tout cas, dans le premier roman, tout tourne autour de cet amour impossible entre Bella et Edward. Croyez-vous que cela fait partie du succès de cette série ? Les personnages sont très sexy mais il n'y a pas de sexe.

    C.T. : Je pense que ce qui fait vraiment le succès de la série, c’est la notion d’amour interdit, pas la notion d’amour impossible : de tous les obstacles à surmonter pour dépasser l’interdit qui crée l’adhésion des adolescents. Parce qu’ils sont à un âge où, précisément, ils se construisent face à des modèles parentaux qu’ils veulent mettre à sac, qu’ils reconstitueront finalement à leur façon. Quant aux adultes, ils se replongent à l’age de tous les possibles. Or, le possible,  ça va avec la notion d’interdit ! Donc, plutôt que d'évoquer les polémiques sur la confession mormone de Stephanie Meyer et sur "pourquoi faut-il que Bella soit madame Cullen avant de consommer?", ce qui me semble beaucoup plus fort, c'est la structure de conte de fée du récit : on cherche toutes le prince charmant. Il est inaccessible, et on fait tout pour l’obtenir !

    Paradoxalement il y a une dimension érotisante très forte dans les livres et dans les films !

    C.T. : L’érotisme, c’est précisément tout ce qu’il y avant, et c’est d’autant plus sublime que c’est interdit. Voilà le génie de Stephanie Meyer : avoir extrêmement bien su entretenir cela. Et en définitive, les 2400 pages de la tétralogie sont un grand fantasme déployé à travers de pages entières.

    Beaucoup d’adolescent(e)s ont appris à lire ou ont appris à aimer la lecture de roman grâce a à Twilight...

    C.T. : Enormément de lecteurs de Twilight n'étaient pas lecteur avant. C’est pour moi une grande fierté que de publier ce que les autres peuvent appeler de la « littérature populaire » : on fait rencontrer la lecture à des gens qui sinon ne la rencontreraient jamais. Je suis certaine qu’un lecteur qui lit Twilight peut avoir le même choc émotionnel qu’un grand universitaire quand il lit du Proust !

    Les vampires de Twilight n’ont rien à voir avec Dracula, ou toute l’imagerie précédente des vampires : comme dans la série télé True Blood, ils souffrent d'une intégration difficile dans la population humaine. Ces vampires représente finalement aussi l’Etranger.

    C.T. : C'est vrai que le vampire est un peu la figure de l’Autre. La figure de l’inconnu qui repousse, qui fascine et qui fait peur. Je n’irais pas jusqu'à dire qu’on va interpréter Twilight pour expliquer les phénomènes de débats nationaux ! Mon interprétation de la saga est plutôt celle-là : une société qui se laisse emporter par la vague du paranormal, des vampires, des anges, des loups-garous, des sorciers, ... est une société qui a beaucoup de mal avec la notion de mort et de vieillesse. Dans notre société, on est adolescent dès 8 ans et on ne devient adulte qu'à 40. Cela explique aussi le phénomène qui a dépassé celui de la librairie et même le cinéma.

    Twilight est-il le livre d’une femme qui a peur des hommes, perçus comme des prédateurs ?

    C.T. : Je ne fais pas partie des gens qui voient Stephanie Meyer comme une femme qui a peur des hommes. Ni ses personnages. Pour moi, il s'agit d'un faux procès qui a peut-être été intenté à Stephanie Meyer par des gens qui passent leur temps à vouloir passer un ouvrage qui a du succès au prisme de leurs propres obsessions !

    Bella n'a-t-elle pas peur de son propre désir ?

     

    C.T. : Mais elle a pas peur du tout de son propre désir ! Puisqu’elle passe son temps à le formuler et à tanner Edward pour qu’il couche avec elle, qu'il l’épouse ! C’est Edward qui ne veut pas qu’elle devienne vampire. Il lui dit : "Non je ne veux pas te faire renoncer à ta vie d’humaine, au bonheur."

    Alors c’est Edward qui a peur ?

    C.T. : Mais non, il n’a pas peur ! C’est juste qu’il l’aime, c’est un vrai gentleman avec elle. Pour moi, il n'y a aucune notion de peur dasn Twilight. A la rigueur, ils ont peur des Volturies, puisqu'ils sont le Mal incarné (pour le coup, ils sont même un peu caricaturaux et le film les a vraiment transformés en poupée un peu ridicule).

    Il y a peut-être une lecture différente de l'oeuvre de la part du public masculin ?

    C.T. : Comme tout ouvrage un petit peu profond et qui touche à des thèmes importants, il est susceptible de donner autant d’interprétations qu’il aura de lecteurs.

    A-t-on fait le tour de Twilight ? Y a-t-il encore des choses à dire sur cette tétralogie ?

     

    C.T. : Des universitaires se sont déjà livrés à des analyses de l'oeuvre. Le marché est truffé d’ouvrages qui expliquent le phénomène et qui dissèquent ça dans tous les sens. Je pense qu’il y a plein de choses à dire sur le plan sociologique et culturel. Sur le plan littéraire, par contre - et Stephanie Meyer le reconnaît elle-même, ce n'est pas une œuvre inépuisable. Il n’ y aura pas d'études stylistiques sur Stephanie Meyer ! Mais je pense réellement que c’est quelqu’un qui a su capter à un moment donné un état précis de la culture occidentale et de sa formulation et c’est ça qui fait son génie propre.

    Que conseiller à lire aux jeunes qui découvrent le plaisir de la lecture ?

    C.T. : Ils peuvent se plonger dans les classiques de la littérature vampirique : le Dracula de Bram Stoker, ou - comme le font d’ailleurs Bella et Edward - Les Hauts de Hurlevent, d'Emilie Brontë. Stephanie Meyer se nourrit aussi de Roméo et Juliette de Shakespeare, mais elle reconnaît n'avoir pas lu Bram Stoker ! Et puis, il faut lire toute la collection Black Moon, tout ce qu’on publie est à l’encontre de Twilight. On a un magnifique succès avec 16 lunes, sorti au mois de janvier dernier : une remarquable histoire d’amour cette fois entre un jeune homme mortel et une surnaturelle.

    Le vampire revient par cycle dans la mythologie populaire occidentale, est-ce que vous voyez la fin de ce cycle arriver ?

    C.T. : Oui, je pense que la mode va passer.

    Ce n’est pas encore le cas ?

    C.T. : Oh non ! Là, on est en plein dedans ! Je rentre d’un voyage aux États-Unis, et je peux vous dire que c’est vraiment l’endroit où cela se passe à l’heure actuelle. Tous les éditeurs proposent des titres autour des vampires et du paranormal. C’est vraiment l’explosion absolue ! Là, on est vraiment à la crête de la vague. Il est clair qu’il y aura une baisse de cette tendance,  mais je ne vois pas ça avant 2-3ans.

    Qu'y aura-t-il ensuite ?

    C.T. : J’ai quelques idées, mais je ne vais sûrement pas vous en faire part ! Mes chers concurrents s’en empareraient avant moi.

    S'agira-t-il encore de fantastique ?

    C.T. : Non, je pense que l’on sera dans quelque chose de différent.

    Elle a raison, la mode des vampires passe. Peut-être pas en France où on a un décalage du fait du peu de publications Young Adult avant Twilight, mais aux Etats-Unis, les vampires ne sont plus majoritaires (même s'il y en a encore vu le nombre impressionnant de parutions).

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